Sephora Black - Last Night

Une petite fille, aux cheveux brun foncé dont quelques mèches ondulaient joyeusement, se promenait gaiement sur le trottoir d’une grande allée de maisons. Au dehors, le Printemps venait tout juste de débuter, laissant la nature verdoyante reprendre le dessus et les boutons joliment fleurir, la saison brillant de tout son éclat. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. Le Soleil était à son apogée, et pas l’ombre d’un nuage ne se présentait. L’enfant, prénommée Sasha, passait tous ses mercredis après-midi à se balader entre les maisons voisines, à la recherche de quelques compagnons de jeu. L’hiver à présent terminé, laissait place à un temps plus chaud. Les températures estivales s’en allaient, prenant soin d’emporter avec elles toutes les mauvaises ondes qui pouvaient roder dans les environs. Les gens semblaient plus joyeux, réjouis à l’idée d’abandonner le manteau. Vêtue d’une petite robe blanche à points rouges, Sasha donnait l’impression d’être un petit bonbon savoureux, ne demandant qu’à être dévoré. Dans cette petite bourgade, il n’existait d’enfant plus beau que celui-ci et tout le monde se plaisait à le lui rappeler. Pourtant, les enfants avaient pour habitude de ne jamais s’épargner entre eux. Il était bien connu qu’ils ne mâchaient pas leurs mots, ne se doutant probablement pas de la portée de ceux-ci.

« Bonjour Drake ! Tu viens jouer avec moi ? »
« Non, j’ai pas envie. »
« Pourquoi ? »
« Parce que, c’est tout. T’es sourde ? »
« Pourquoi tu es toujours si méchant ? »
« T’en as pas marre de poser des questions ? »
« Tu devrais être plus gentil, tu sais. »
« Je vois pas pourquoi je devrais l'être. Et puis tu m’énerves ! Tu veux pas me lâcher un peu ? »
Il y eut un court silence durant lequel les deux enfants échangèrent quelques regards, mais bien vite Drake reprit la parole.
« En plus t’as même pas de papa. »
« Il est parti. Et ma maman m’a dit que j’étais pas la seule à ne pas en avoir. »
« Et ben d’abord, mon père il dit que ta maman c’est une catin. »
« Ca veut dire quoi ? »
« Je sais pas, mais en tout cas c’est pas gentil. Et si ta mère est une catin, ça veut dire que t’es pareil, parce que tu lui ressembles. »

Ne comprenant pas ces mots d’adultes, Sasha contourna son voisin pour finalement continuer sa route. Etait-ce une tare de ne pas avoir de papa ? Doux fruit de l’innocence et de la pureté, la petite fille ne savait jamais de quelle manière s’adresser à Drake, qui était déjà âgé de neuf ans. Les joues rosies et les yeux brillants, elle préféra s’éloigner d’un air penaud et triste, disparaissant au coin de la rue. Une fois qu’elle fût sortie de son champ de vision, le petit garçon soupira fortement, comme déchargé d’un poids immense. Cette crétine avait le don de l’irriter. Chaque fois qu’il l’observait se pavaner devant lui, une envie de lui faire passer un sale quart d’heure l’envahissait de toutes parts. Elle avait trois ans de moins que lui et pourtant, il n’excusait pas sa prétendue niaiserie. Gamin difficile et turbulent, Drake n’était pas réellement apprécié dans le quartier, les parents se méfiaient même de lui, obligeant leurs enfants à éviter de le fréquenter. ‘Mauvaise graine’ disaient-ils à tout bout de champ mais ces remarques lui passaient bien au-dessus de la tête car il avait d’autres chats à fouetter. Si seulement ses problèmes se résumaient à quelques mésententes avec ses voisins, sa vie aurait pris une tournure beaucoup plus simple.

Alors qu’il reprenait sa marche, cette brève entrevue lui sortit progressivement de l’esprit à chaque pas effectués. A dire vrai, il s’agissait là d’une banale routine. Quand ce n’était pas à Sasha qu’il s’en prenait, c’était aux jumeaux vivant en face de chez lui. Personne ne comprenait pour quelle raison cet enfant était-il aussi asocial. Par ailleurs, aucune réponse précise ne leur été donnée. Il ne fallait guère attendre davantage de la part des Montague depuis cinq longues années maintenant. Lors de leur arrivée en ville, tous les habitants purent faire la même constatation : ils feraient de bien gentils et plaisants voisins. Accompagnés de leurs deux garçons, Alex et Drake, ils ressemblaient ni plus ni moins à une famille dite ‘normale’. Dans le passé, ils ne donnaient pas l’impression d’attirer les problèmes outre mesure, aujourd’hui c’était encore le cas mais plus personne n’osait réellement les aborder, ne sachant pas véritablement comment s’y prendre. En effet, cinq ans plus tôt, le corps inanimé d’Alex était retrouvé dans une rue adjacente à la leur, le responsable n’ayant jamais été retrouvé. N’ayant pas su faire le deuil de leur aîné et à défaut de ne pas pouvoir pleurer librement, les Montague avait trouvé une autre solution pour extérioriser leur peine au lieu de la diluer dans des larmes. Drake était devenu le bouc émissaire de la famille, la tête de turc que personne ne pouvait encadrer. Tout ce qu’il faisait n’était jamais assez bien ni même suffisant. A trop lui rabâcher à longueur de journée qu’il n’était qu’un incapable, un bon à rien et que jamais il n’atteindrait la perfection de son frère, le benjamin de la famille avait fini par totalement perdre confiance en lui. Alors il réagissait de la seule manière qu’il connaissait. Il se rebellait et devenait de plus en plus insolent, ne se pliant jamais à l’autorité parentale.

Après une bonne dizaine de minutes à contempler la paroi de sa maison, le garçon se décida enfin à franchir les quelques mètres qui le séparaient de la porte. Il entra discrètement, souhaitant avant tout ne pas se faire remarquer. Moins il communiquait avec ses proches, mieux il se portait. Mais alors qu’il commençait tout juste à grimper les premières marches de l’escalier menant à l’étage, une main imposante l’agrippa par le pan de son tee-shirt et le fit brusquement rebrousser chemin sans aucune douceur. « Lâche-moi ! » Meugla-t-il à l’attention de son père qui le traînait par son vêtement jusqu’au salon. « Où étais-tu ? »
« Dehors ! »
« Je peux savoir ce que tu fichais dehors ? Il me semble que tu as du travail qui t’attend ici. Tu dois aussi aider ta mère. »
« Je veux pas. Tu peux pas me forcer. »
« Ce n’est pas un gamin de neuf ans qui va faire la loi sous mon toit ! » Repoussant son fils d’un geste vif, William Montague sortit sa baguette et le fit léviter jusqu’à l’escalier. « Alex ne m’aurait jamais manqué de respect aussi ouvertement. »
« Je ne suis pas Alex et je ne le serai jamais, imprègne-toi le dans le crâne ! » Se tenant à la rambarde, Drake grimpa rapidement quelques marches. « Je te déteste ! T’es plus mon père. »